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« Les EHPAD doivent se saisir de l’ergothérapie »


Publié le Lundi 30 Janvier 2023 à 15:57

Longtemps traités de manière parallèle, maintien de l’autonomie des résidents et prévention des troubles musculo-squelettiques (TMS) chez les soignants sont « intrinsèquement liés », comme nous l’explique Fabrice Nouvel, ancien président de l’Association Française des Ergothérapeutes en Gériatrie (AFEG), dont il est aujourd’hui membre du conseil d’administration.


Lors de vos formations et au sein même de l’AFEG, vous insistez sur le lien entre maintien de l’autonomie et prévention des TMS. Pourquoi ?

Fabrice Nouvel : Ces problématiques ont longtemps fait l’objet de politiques parallèles, qui parfois allaient même à l’encontre l’une de l’autre ; or elles doivent impérativement converger pour le bien de tous. En accroissant la dépendance, on accroît de facto la sollicitation des soignants. Pour prévenir les TMS, il ne faut donc pas « faire » à la place du résident mais au contraire « laisser faire », continuer à le solliciter. Aussi cette prévention doit-elle être réfléchie dans son ensemble, et ne pas se limiter à la seule installation de rails plafonniers.

Justement, comment allier prévention des TMS et maintien de l’autonomie ?

La prévention de la perte d'autonomie doit être considérée en priorité, pour éviter la dépendance iatrogénique institutionnelle. L’établissement doit, pour cela, mettre en œuvre une vraie politique de maintien de l'autonomie, articulée autour de plusieurs étapes avec, en premier lieu, la connaissance du niveau des capacités restantes pour chaque résident. Ce bilan nécessaire, quoiqu’aujourd’hui peu réalisé, doit véritablement se concentrer sur les capacités réelles de la personne et non sur les habitudes de travail. De nombreuses tâches sont actuellement réalisées par les équipes soignantes, alors qu’elles pourraient l’être par des résidents. Beaucoup sont, par exemple, accompagnés à la salle à manger en fauteuil parce que cela est plus rapide, alors même qu'ils peuvent encore marcher. Ne pas laisser faire parce que l’on n’a pas le temps, ou que l'on considère que l’âge entraîne forcément un déclin, génère à terme une réelle dépendance iatrogénique et donc une sollicitation accrue des soignants… ce qui, vous vous en doutez bien, démultiplie les risques de TMS.

Quelles sont les principales missions d’un ergothérapeute lors de son arrivée en EHPAD ?  

Conformément à ce que j’évoquais plus haut, la première mission de l’ergothérapeute est d’évaluer l'autonomie de chacun. Nous décrivons précisément toutes les capacités de la personne : peut-elle remonter dans un lit, se lever, se laver, se nourrir seule ? Une fois ces données récupérées, nous travaillons avec les équipes de l’établissement pour maintenir ces capacités au mieux. Dans certains cas, nous pouvons préconiser l’usage d’aides techniques, qui peuvent accompagner le résident dans le maintien de l’autonomie. Un guidon de transfert, par exemple, peut permettre de se lever sans utiliser de lève-malade.  

Qu’en est-il de l’organisation des équipes ?

L’organisation est un point important, si ce n’est primordial, dans cette démarche. Chaque soignant doit être précisément informé des capacités de chacun. Plusieurs outils, comme des pictogrammes Autonomie installés à l’entrée de la chambre du résident, peuvent par exemple être imaginés. Chaque équipe doit trouver un fonctionnement adéquat pour que l’information circule. L’encadrement a ici un rôle majeur à jouer, notamment pour uniformiser les pratiques de soin : la prise en charge d’un résident donné devrait idéalement être la même, quels que soient le jour et la personne qui s’occupe de lui.

Comment ces recommandations sont-elles aujourd’hui accueillies dans les EHPAD ?

Ces établissements, qui prennent en charge des personnes de plus en plus dépendantes, doivent s’adapter à cette évolution pour éviter de créer de la dépendance supplémentaire. La prise de conscience est en train de se faire, mais beaucoup croient encore que le déclin est inéluctablement lié à l’âge, ce qui est faux. Cela étant dit, ces considérations diffèrent d’un établissement à l’autre. La disparité est grande, et s’observe aussi dans la présence ou l’absence d’un ergothérapeute au sein de l’EHPAD. Début 2020, l’AFEG avait ainsi réalisé une étude sur 247 EHPAD français accueillant un ergothérapeute, même à temps partiel. Pour 100 résidents, le taux de présence de l’ergothérapeute était compris entre 0,2 et 2 équivalents temps plein (ETP), et ce alors que la Société Française de Gériatrie recommande 1 ETP pour 80 lits. Par ailleurs, durant ce temps de présence, les ergothérapeutes travaillent peu sur le maintien de l’autonomie ; la première tâche dont ils sont chargés a souvent trait à l’entretien du matériel.  Cet état de fait est pour moi symptomatique du manque de compréhension qu’ont les EHPAD de notre métier. Pourtant, nous sommes en mesure d’apporter une aide précieuse dans le diagnostic des activités à risque. Et, parce que maintenir les capacités d’une personne le plus longtemps possible est un travail de tous les jours, les EHPAD doivent se saisir de l’ergothérapie et changer de paradigme pour adapter leurs pratiques.
 
Article publié dans le numéro de janvier d'Ehpadia à consulter ici
 



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